De la libération de la parole…
par Gaëlle WALKER
Afin d’intervenir sur le conflit, la tension, le malaise, le blocage, dans un collectif, ou dans une organisation, le médiateur propose un espace sécurisé dans lequel il recevra les personnes en entretien. Il s’agit d’un cadre sécurisé, ou qui se veut sécurisant, pour permettre aux personnes en souffrance, ou en tension, en tout cas en rupture de confiance, d’exprimer leurs sentiments, ainsi que leur besoin, et clarifier ainsi leur relation.
L’objectif de ce processus : libérer la parole ?
Libérer la parole, c’est accepter de lever des confusions, clarifier des faits, ou exprimer la perception et l’interprétation de ces faits par chacun. Il s’agit de permettre des échanges par des modes de communication directs et non détournés, pour mieux comprendre une situation ou une relation.
C’est aussi accepter de confier des éléments d’information parfois cruciaux, parfois appréhendés comme des faiblesses et des failles, pour que ces dernières puissent être entendues puis prises en compte.
La démotivation, la démobilisation, la souffrance vécue au travail émanent d’un sentiment négatif : le manque de reconnaissance, le manque de compréhension, la frustration, les vexations, l’humiliation, l’oubli. Ces sentiments s’expriment sous la forme d’une émotion qui va vite devenir insupportable voire insurmontable. Or le malaise que ressent un agent, ou un collaborateur dans le cadre de son travail ne peut pas toujours être exprimé au sein même de l’organisation.Exprimer la souffrance pourrait être mal interprété, et provoquer la rétrogradation du collaborateur, sa dévalorisation, Elle pourrait être comprise comme l’affirmation de son incapacité à contrôler, ou plus, la perte de la confiance ou de la place.
Ainsi reconnaître que l’on ne va pas bien comporte des risques pour le salarié. Il peut être perçu comme « mauvais professionnel », ou incapable de faire du « bon boulot ». Ou ses capacités d’adaptation peuvent être remises en cause.
Bref, libérer cette parole comporte des risques.
Cependant à l’inverse, ne pas pouvoir exprimer ses difficultés peut être fatal pour le collaborateur qui mettra sa santé en danger, en supportant un climat et une dégradation des relations sans se rendre compte de ce que cela occasionne sur sa santé psychique et physique.
D’autre part, il existe pas ou peu de manager « inhumain », c’est-à-dire qui ne se préoccuperait pas de la santé de ses collaborateurs.
La plupart des dirigeants sont par ailleurs conscients de leur responsabilité dans ce sens, ce qui accroît leur implication sur ce sujet, ainsi que leur anxiété. Mais le blocage existe aussi de leur part : la confiance est émaillée par les abus de certains employés peu scrupuleux.
Libérer la parole du dirigeant est un enjeu fort, mais représente une démarche compliquée et engageante : elle peut lui donner l’impression d’abattre ses cartes, de perdre le contrôle, ou même de se faire piéger.
Libérer la parole, ce pourrait être exprimer des mots, évoquer des situations, qui seraient interprétés, ou instrumentalisés contre leur auteur lors d’un contentieux.
La crainte des deux parties dans ce contexte de crise est de livrer des éléments à « l’adversaire », éléments qui pourraient se retourner contre eux d’une façon ou d’une autre.
Le cadre au service de la confiance …
Ainsi si le médiateur propose de favoriser l’expression de ces maux, il le fait dans un cadre bien précis. Il est parfaitement conscient de l’implication et des conséquences d’une telle démarche, qui rendent le processus vraiment efficace. Mais le médiateur est aussi conscient de la responsabilité qu’il engage, et dans laquelle il engage les personnes. Ainsi il pose le cadre de la médiation : un cadre sécurisé par la déontologie à laquelle il est soumis.
Il s’agit des règles d’indépendance, d’impartialité, de neutralité du médiateur. La confidentialité des entretiens engage à la fois le médiateur, mais aussi les personnes qui participent au processus. Elle est morale avant tout, et repose sur la parole des deux personnes en présence.
Et la règle du caractère volontaire de l’engagement des personnes est le denier élément fondateur de la médiation, et celui sur lequel repose la sécurité des personnes.
Dans les relations de travail, la sécurité des entretiens est un des éléments clés du processus.
L’engagement des personnes dans le processus ne sera possible que si ils reconnaissent, si ils font confiance à cette sécurité proposée. Le médiateur joue un rôle alors de pédagogue en proposant aux personnes de se fier à ce cadre nouveau.
C’est pour ces raisons que le processus ne peut se dérouler en quelques heures. Il est bon de laisser un temps de réflexion, et de maturation de cette démarche à chacun avant d’engager le processus. En effet, accepter ces nouvelles règles de communication qui sont basées uniquement sur la confiance des personnes présentes, médiateurs et médiés, ne peut se faire immédiatement. Les personnes ont besoin souvent de plusieurs étapes avant d’arriver à ce stade de confiance, état instable et précaire, qui doit être sans cesse réconforté, et sécurisé par le médiateur.
Le processus : le temps de cheminer et modifier sa perception…
Les différentes étapes : le premier entretien d’information ; puis l’entretien individuel pendant lequel se posent les règles entre le médiateur et chaque médié. Et viennent enfin les entretiens de médiation, qui peuvent être renouvelés parce que souvent la confiance dans le processus ne se pose pas immédiatement. La vertu du processus est bien de laisser le temps d’installer la confiance, puis de la maintenir.
Par ailleurs c’est aussi pour ces raisons que le médiateur n’utilise que très peu de formalités écrites. Il se base sur la parole des personnes présentes, et leur engagement au moment de l’entretien.
La sécurité est alors basée juste sur l’engagement moral des personnes, engagement qui peut être fort et fiable si on a pris de le temps de le forger.
C’est alors à ce moment d’équilibre entre les forces et les intérêts que pourra se préciser la recherche de solution.