Quand et comment orienter un dossier en médiation ?

Nous vous proposons ici l’intégralité des débats de la Table ronde n°2  du Grand Café de la Médiation, rédigé par les étudiants de Master 2 Médiation de Lyon.

Vous pouvez lire le contenu détaillé des autres ateliers dans le lien ci-joint : 

Rapport du Grand Café de la Médiation 2016 

Table ronde 2 : Quand et comment orienter un dossier en médiation ?

Par Audrey TORIKIAN.

La réflexion a porté sur les critères d’éligibilité du médiateur, les relations avec les avocats, quand et comment orienter un dossier en médiation ?

Intervenants :

  • Paul JOURNE, juge au Tribunal Administratif de Grenoble
  • Rolland VERNIAUD, médiateur et avocat, Vice président du CIMA
  • Pierre JAKOB, avocat spécialisé en droit administratif
  • Jean-Marc BRET, animateur, médiateur et avocat spécialisé en droit du travail

JM BRET a d’abord présenté la table ronde et les questions que nous allions traiter lors de ce débat. A savoir, comment orienter un dossier en médiation ? C’est-à-dire, quels types de dossiers vont pouvoir être traités en médiation et à quel moment convient-il de la débuter ?

En premier lieu, nous nous sommes donc intéressés au fait de savoir s’il existe des dossiers qui sont plus « adaptés » que d’autres à la médiation et au fait de savoir s’il est possible de dégager certains critères qui font qu’un dossier va plus facilement pouvoir être traité en médiation qu’un autre.

En matière de médiation conventionnelle, les protagonistes présents à la table ronde et dans l’assemblée se sont rejoints pour identifier certains dossiers comme étant plus susceptibles d’être éligibles à la médiation. Nous avons donc réussi à distinguer divers éléments et critères :

  • En premier lieu, on s’intéresse à la nature du dossier : un dossier en matière familiale ou commerciale est plus facilement orientable en médiation de par sa typologie.
  • Dans un second temps, c’est la solution de droit qu’il faut regarder. En effet, il faut s’intéresser à la légalité de la solution mais aussi à la faisabilité de cette dernière. R.VERNIAUD argue du fait que lorsqu’on se cantonne à la solution de droit, il peut arriver que l’on ne traite qu’un quart du dossier.
  • Nous dégageons un troisième critère, celui de la charge émotionnelle du dossier. Plus un dossier va être chargé en émotion, en ressentiments, plus le médiateur aura un rôle clé à jouer pour désamorcer les tensions.
  • Nous avons également pensé que la prescription de la médiation s’imposait dans le cadre des relations appelées à perdurer et à se maintenir dans le temps. Il peut bien sûr s’agir là encore des problématiques en matière familiale mais aussi, des contrats de longue durée et complexes que l’on peut par exemple trouver en droit commercial ou en droit de la distribution, comme nous l’a exposé Mme WAGNER, avocate.
  • Enfin, P. JAKOB et P. JOURNE nous rappellent l’importance de la médiation dans les relations qu’entretiennent l’administration et les personnes publiques avec les usagés.

Nous avons donc dégagé quatre principaux critères distinctifs qui permettent d’identifier plus facilement les dossiers à orienter en médiation.

En outre, Marion SIMONET, avocate, déclare qu’il faut aussi simplement penser à écouter son client et ses principales attentes. Il faut s’intéresser aux besoins réels de ce dernier, prendre le temps d’écouter sa demande.

Enfin, JP. BONAFE-SCHMITT, enseignant-chercheur et fondateur de l’association AMELY, va clôturer le sujet en exposant un point de vue différent. Il se demande pourquoi chercher à instaurer des critères. Selon lui, il est réducteur de penser qu’il existe des affaires propices à la médiation. Ainsi, pourquoi écarter d’office des dossiers de la médiation et réduire le champ d’utilisation de cette dernière ? Au contraire, la médiation devrait être considérée comme le mode de traitement principal des dossiers et le jugement devrait devenir l’exception. Il faut alors partir du principe que tout dossier doit-être éligible à la médiation car nous n’avons pas de données qui nous permettent d’affirmer qu’elle n’est pas indiquée dans certains cas. Pour se faire, il faudrait mener des expérimentations qui nous permettent de dire si oui ou non la médiation donne de meilleurs résultats dans tel ou tel dossier. Il faut donc accepter de prime abord qu’elle soit applicable à tout type d’affaires, pour pouvoir étudier par la suite dans quels cas elle est la plus bénéfique.

Dans la continuité de notre interrogation, nous nous sommes questionnés sur le rapport qu’entretient l’avocat à la médiation et sur les éventuelles répercussions sur cette dernière. Un consensus a notamment été trouvé sur le fait que l’avocat influait grandement d’une manière ou d’une autre sur la possibilité d’envoyer un dossier en médiation puisqu’il est souvent le premier protagoniste à rencontrer et orienter le client.

  1. R. VERNIAUD admet qu’il existe encore des réticences des avocats par rapport à la médiation et qu’ils peuvent avoir du mal à identifier les dossiers qui sont susceptibles d’être éligibles à la médiation mais des progrès commencent à être effectués en la matière.
  1. P. JAKOB évoque que les avocats ont un rôle fondamental à jouer dans le développement de la médiation et qu’il est donc nécessaire d’instaurer une réelle pédagogie en la matière.

Mr PERTUISET, étudiant en master 2 de médiation à Lyon 2, a alors abordé la question du point de vue économique. Il a évoqué le fait que la peur pour l’avocat de « perdre » son client pouvait empêcher ce premier d’orienter le dossier en médiation. Ici, R. VERNIAUD et M. SIMONET, avocate, se sont rejoints pour signifier qu’orienter un dossier en médiation n’était pas nécessairement synonyme de perte du dossier. Ces derniers reconnaissent comme une plus value le fait pour un avocat d’être formé à la médiation. Dès lors, les avocats peuvent accompagner leurs clients auprès du médiateur et là, le ratio temps passé/ temps facturé est bien meilleur pour l’avocat en matière de médiation puisque cette dernière est souvent plus rapide qu’un procès et que l’avocat pratique un tarif horaire.

En outre, ce gain de temps permet une meilleure rotation des dossiers. La médiation peut donc être perçue par les avocats comme plus rentable qu’un dossier classique. Mr PERTUISET va alors indiquer que ces affirmations valent bien évidemment pour les avocats qui sont formés à la médiation mais pas nécessairement pour les autres qui y sont parfois réticents. Là encore, nous nous sommes tous rejoints sur l’idée qu’il convenait d’instaurer une initiation à la médiation, notamment au sein des écoles d’avocats.

En ce qui concerne la médiation en matière judiciaire, nous sommes passés beaucoup plus rapidement sur le sujet car dans ce cas-là, la médiation est à l’initiative du juge. C’est donc ce dernier qui va décider quel dossier va être traité en médiation.

R. VERNIAUD insiste toutefois sur le fait qu’un tiers des dossiers qui arrivent en médiation au CIMA sont de source conventionnelle et que deux tiers sont de source judiciaire. Il y a donc une part importante des dossiers qui sont de source judiciaire. En matière administrative, P. JOURNE fait le constat inverse. Sur huit mille dossiers annuels, seulement une vingtaine vont en médiation.

Pour JM BRET, outre les chiffres, il faut impérativement s’intéresser au fait de savoir pourquoi le juge a décidé d’orienter un dossier en médiation. Savoir si le mode de réflexion du juge est basé sur les critères que nous avons énoncés précédemment est difficile à affirmer de manière exhaustive. Mais, il est sûr que, outre ses convictions personnelles, le juge doit s’assurer de l’adhésion des parties à la médiation qui est un élément sine qua non pour le bon déroulement du processus. C’est donc sur le postulat de la nécessaire adhésion des parties à la médiation que nous avons clôturé cette première question.

Dans un second temps, lors de cette table ronde, nous nous sommes posés la question du moment opportun pour orienter un dossier en médiation. C’est à dire, savoir quel est le cadre temporel de l’intervention de la médiation. Il s’agit de savoir quand orienter le dossier en médiation. Il est apparu qu’il était important pour pouvoir répondre à cette question de savoir qui est à l’initiative de la médiation. Ainsi, si une médiation est judiciaire ou conventionnelle, elle ne sera pas nécessairement orientée en médiation au même moment.

En matière de médiation judiciaire, P. JOURNE, juge administratif, estime qu’il est opportun d’orienter le dossier dès le début de l’instruction et même, plus tôt si possible sinon la médiation risque de ne pas produire l’effet escompté.

On se rejoint sur ce point, même en matière de médiation conventionnelle. Elle doit être proposée le plus tôt possible avant la mise en l’état ou l’échange des conclusions car cela risquerait de créer par la suite des difficultés. Néanmoins, si on se rassemble sur le point que la médiation doit intervenir tôt dans la procédure, on est également d’accord sur le fait qu’il ne faut pas exclure pour autant la possibilité d’avoir recours à la médiation plus tard dans la procédure. Parfois, le temps permet de calmer les esprits et l’attente peut aussi faire ressortir l’aléa judiciaire, tous deux propices à l’acceptation de la médiation.

Dans le public, a été évoquée l’idée que la médiation devrait être prévue a priori, avant tout conflit. C’est l’idée que le recours à la médiation doit ainsi être anticipé via l’utilisation des clauses de recours conventionnelles. Là encore, les conseils ont donc un rôle important à jouer vis à vis du développement de la médiation, notamment en mentionnant à leurs clients la possibilité de prévoir le recours à la médiation au moment même de la conclusion du contrat.

On va même plus loin en évoquant que l’anticipation doit-être inscrite dans tous les types de contrats, voire même dans les contrats de mariage.

Enfin, la question finale que nous avons évoquée est celle de savoir comment faire accepter la médiation, comment la promouvoir auprès de personnes réticentes ou non renseignées ? JM. BRET nous invite à chercher des termes appropriés pour une telle définition. S’agit-il de vendre, de convaincre, d’expliquer ?

Là aussi, les avis divergent sur le terme à employer mais dans le fond chacun a sa manière différente de faire accepter la médiation suivant le rapport qu’il entretient avec cette dernière. Si notre manière d’exprimer notre souhait de promouvoir la médiation n’est pas identique, notre volonté, elle, est bel et bien existante en chacun de nous.

Ainsi, un véritable travail est à accomplir pour continuer à diffuser la médiation. Les principaux points à développer sont ceux de la formation des professionnels. Il faut promouvoir la culture autour de la médiation dans le domaine du droit au sein des tribunaux ou dans les écoles d’avocats. Des partenariats sont nécessaires entre tous les acteurs du droit et de la médiation, notamment, l’instauration d’une démarche de communication entre les magistrats et les avocats où chacun à une place prépondérante à tenir. En outre, JP. BONAFE-SCHMITT explique que c’est au sein même de l’éducation nationale, dès le plus jeune âge, qu’il faut promouvoir la culture de la médiation. Il est nécessaire de diffuser la médiation comme un réel processus de communication basé sur le dialogue, l’échange et le respect mutuel. Ainsi, quel meilleur endroit que l’école pour promouvoir de telles valeurs ?

On conclura nos propos sur cette table ronde par le fait que pour convaincre des bienfaits de la médiation, l’essentiel est d’adopter notre posture de tiers bienveillant partout où l’on passe. La bonne posture du médiateur peut bien évidemment n’être que contagieuse.