Je viens de passer une année dans les services d’urgence des Hospices Civils de Lyon.
Qu’est ce qui peut amener à l’idée que cet espace a besoin de médiateur ? Qu’est ce qui se joue et entre qui ? Qui a besoin de médiateurs ?
Il est certainement question de cette fameuse « bientraitance » : Cette façon de prendre soin du patient, de son accompagnement, d’entendre sa souffrance, son angoisse et surtout ce souhait d’y répondre au mieux. La bientraitance c’est une attitude. Celle qui permet de meilleures conditions pour la prise en charge du patient et des accompagnants et celle qui procure le plus de sérénité possible pour le soignant.
Mettre en place une étude sur l’impact de la présence d’un médiateur dans un service d’urgences, c’est intéressant et cela questionne :
Le soin thérapeutique n’est pas forcément le plus « difficile » à dispenser : les professionnels de santé sont là, compétents pour diagnostiquer, évaluer, orienter, préparer, soigner, piquer, nettoyer, installer et brancarder. Chacun va prescrire, lire, analyser et soigner.
Le soin humain, celui qui transforme le patient en un homme, une femme, un jeune adulte, un grand père, une mère de famille, un sans-papiers, un touriste, une étudiante, un délinquant ou une femme battue demande plus de temps.
Le temps est le maître mot dans un service d’urgences.
« J’aimerais mais je n’ai pas le temps ! » ; « Ici on n’a pas le temps pour ça ! » ;
« Je n’ai pas de temps à perdre ! »
Oui ! Le temps file aux Urgences. Les box se remplissent. Les étiquettes s’empilent, les températures et les tensions sont prises à la chaîne, les pompiers et les ambulances se suivent…De la « bobologie » à l’urgence vitale il faut s’adapter.
C’est intéressant cette notion de « bobologie ». Il s’agirait de maladies qui n’en sont pas : un coton-tige dans l’oreille, un mal de ventre depuis 3 mois, une petite coupure au doigt, des maux de gorge… une urgence qui est latente depuis des mois, cela peut prêter à sourire, une attente de 5 heures pour un rhume cela peut étonner. Et pourtant, ces patients sont vraiment dans cette urgence. Urgence qu’on prenne soin d’eux, qu’on les rassure, qu’on atténue leurs douleurs (C’est très subjectif le degré de douleurs).
Certainement « ils encombrent les urgences ». Mais que dire de la personne qui ne peut pas avancer sa consultation chez un médecin traitant, de celle qui est envoyée aux urgences par ce même médecin, qui fait face comme il peut à un agenda sur rempli ? A-t-il toujours un autre choix ?
L’éducation à la santé peut sans doute aider à réguler la nature des pathologies avancée aux urgences. Mais cela ne suffira pas. Rares sont les patients qui viennent par plaisir ! Ils sont pour la grande majorité, dans une réelle souffrance, qui leur parait à ce moment-là insupportable. Et c’est aussi insupportable pour le personnel des urgences, qui ne voit plus la personne qui souffre mais celle qui encombre. Celle qui est chronophage et qui finalement va nourrir ce manque de temps.
A quoi utiliserait-il ce temps s’il pouvait l’avoir ? Peut-être… plus de mots, plus d’attention, plus de lien, plus d’empathie, plus d’écoute ; peut-être moins de rapidité, moins de décharge, moins d’agacement.
Une infirmière m’a dit « On m’oblige à être ce que je ne veux pas être ! ». Quelle violence, contre soi et ses valeurs, contre l’autre qui subit.
Est-ce que la seule présence d’un médiateur va changer le système ? Je ne crois pas.
Est-ce que la présence d’un médiateur va humaniser le système ? Oui, je le crois. Car ce médiateur a le temps. Ce fameux temps qui semble tout gérer et tout contrôler. Il est là pour cette fameuse bientraitance émotionnelle.
Il écoute, il entend, il acquiesce, il répond, il soutient, il accompagne, il suit, il informe, il rassure, il apaise, il met en lien, il identifie, il désamorce, et il sourit.
« Vous êtes la seule personne qui sourit ici ». Faut-il du temps pour sourire ? Quelques dixièmes de secondes, moins que pour dire bonjour. C’est le premier accueil. Le premier signe qui rassure. Encore faut-il avoir envie de donner ce sourire. La médiatrice que je suis, en a fait une arme ! Pour lutter contre l’ambiance oppressante des Urgences, pour faire passer un message d’espoir, pour atténuer le brouillard, pour dire « vous pouvez vous approcher », pour apaiser. Une arme pour affronter l’agressivité : Des patients quelque fois, du personnel hospitalier parfois aussi.
Cela ne veut pas dire que le médiateur, est là, à sourire naïvement au milieu du chaos. Pour moi, c’est le premier pas, une invitation à s’approcher, à parler, à expliquer. Une proposition. Celle de venir créer un lien. Pas celui du soin thérapeutique. Celui qui va prendre soin de vos émotions. Faut-il être médiateur pour cela ? Pourquoi pas. Le plus important, est selon moi d’être formé et attentif à l’autre. L’altérité. Reconnaître que l’autre existe et qu’il a le droit de ressentir. Etre compétent dans une vraie écoute. Celle qui permet l’estime de soi et qui vous rend digne. Etre en capacité d’accompagner chacun, dans ce qu’il vit, dans une démarche positive et autonome. Chacun peut décider que l’attente sera supportable ou non, que le nombre de patients sera ingérable ou pas, que le manque de matériel sera insurmontable ou non. Chaque patient et chaque membre du personnel peut décider de subir ou de supporter.
On ne peut pas nier, que travailler aux Urgences relève du sacerdoce ! Etre soignant c’est une vocation, c’est un don de soi. Quelle tristesse de voir certains professionnels envahis par un sentiment désabusé et ne plus ressentir le plaisir d’exercer. Comment retrouver cette motivation?
Comment faire aussi que le patient, l’accompagnant ne soient pas les victimes collatérales de cette situation ?
Aux Urgences, il est parfois question de contention. C’est un acte violent, qui reste indispensable dans certains cas, et qui est aussi une solution pour lutter contre le manque de moyens et de temps. Une médiatrice me raconte qu’une patiente lui a dit « si vous aviez été là, et m’aviez parlé comme cela, je ne pense pas qu’ils auraient eu besoin de contention avec moi ». Est-ce à dire que la médiatrice propose une autre forme de contention ? Pour un médecin, la contention consiste à immobiliser tout ou partie du corps humain. Comment le médiateur peut participer à cette immobilité sans violence ? Sans doute parce qu’il ne va pas chercher à immobiliser physiquement mais plutôt à temporiser, à permettre au patient de s’immobiliser lui-même, en se contenant lui-même. C’est un pari. Mais c’est un pari gagnant quand cela fonctionne. Pour le patient et pour le soignant. Pour ce dernier la contention est un moyen de défense parfois, de mise en sécurité, ou la façon la plus automatique d’aller au plus vite, à l’efficacité.
Dans ce contexte d’urgence, la présence bien traitante d’une personne, dans une approche médiation, apparait comme un pansement (la comparaison est facile !). Il serait dommage de ne pas laisser ce pansement sur une plaie encore vive. Alors espérons qu’au-delà de l’expérimentation, l’idée subsistera. Pour les patients et pour un personnel qui je crois, aimerait récupérer cette part d’humanité, ce lien qui leur a souvent donné l’envie de faire ce métier.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cet univers à part des Urgences. J’ai vu en un an beaucoup de souffrances, du ras le bol, des injustices. Je n’ai pas oublié de regarder aussi la reconnaissance, la gratitude, la solidarité professionnelle et la vie.
J’ai vécu une année d’une grande richesse. J’ai beaucoup appris sur moi et sur mon métier. Je quitte ce monde des Urgences avec un léger pincement au cœur. Au bout d’une année, j’ai le sentiment de faire partie de ces équipes, ou plutôt de participer avec elles à cette mission du « prendre soin ». Je me sens proche aussi de tous ses hommes et toutes ces femmes, qui viennent fragiles, apeurés, angoissés et qui se confrontent parfois brutalement à des équipes surmenées et fatiguées. Au milieu de tous ces obstacles, j’ai rencontré des professionnels lumineux qui se surpassent au-delà des difficultés de leur pratique ainsi que des patients respectueux.
Je suis reconnaissante envers tous les membres du personnel des HCL qui ont accepté ma présence, qui ont soutenu l’expérimentation, et qui se sont opposés aussi. Merci aux patients, qui ont questionné cette présence et qui ont nourri ma pratique au quotidien.
Et quelle chance d’avoir partagé cette expérience avec trois autres médiatrices ! Nos échanges, nos doutes, nos questionnements, leur soutien ont été indispensable pendant ces 12 mois.
Aujourd’hui, c’est le temps de la réflexion : comment pérenniser cette expérience, sous quelle forme ? Comment atténuer ce sentiment d’abandon ressenti par les patients ? Comment limiter le sentiment d’insécurité des professionnels ?
Cette année passée au sein des Urgences, me donne aussi envie de travailler sur d’autres axes avec les équipes hospitalières. La médiation collective doit trouver sa place au sein des équipes pour soutenir et améliorer leurs conditions de travail, limiter les situations de tension et redonner un peu d’âme à leur activité professionnelle.
Frédérique Moulinier-Fuentes/Médiatrice DE